“Jongleries, perfusions, bulles de savon et l’ultime en question.
Cirque
Radicalement différente du premier spectacle, créé en 2009, empreint de joie, chaleur, nostalgie, générosité et androgynie, la nouvelle création de la compagnie belge Curieux curieux évoque » Le Passage « , celui que chacun redoute, lors du festival Hors Pistes qui se déroule jusqu’au 9 mars aux Halles de Schaerbeek. De mort, il est donc bel et bien question tout au long de cet opus circassien dont la vidéo, très présente en art contemporain, devient un agrès à part entière. Epurée, esthétique, poétique et inventive, celle-ci crée cependant souvent une distance entre la scène et la salle. Et si l’ingéniosité technique fascine, ce sont les solos qui se seront montrés les plus émouvants lors de ce » Passage » tout en douceur.
Où la mort ressemble à un bain bleu-vert d’eau tiède et repasse le film d’une vie, de ses moments heureux surtout, de la rencontre amoureuse, de la transmission et de l’éternel recommencement. Autant d’images projetées au travers de bulles de savon par un étonnant procédé et lors d’un rituel funéraire surréaliste. Mais ne brûlons pas les étapes, ne passons pas trop vite de l’autre côté même si, d’emblée, avec cette image de perfusion et les deux périactes, inspirés du théâtre antique, pour unique décor, la fin semble inéluctable pour le Passager, Luca Aeschlimann, seul et nu face à son angoisse, malgré l’apparente toute puissance de son corps. Pour l’aider à traverser, il croisera le Guide, Vladimir Couprie, tout de noir vêtu et anxiogène malgré tout. Pendant qu’en coulisse œuvre l’invisible, Pedro Miguel Da Silva. Avant d’arriver de l’autre côté, se jouera un face-à-face ludique avec dame la mort à coups de balles ou de diabolo-toupies. S’invitera surtout la liberté. Et des lâchers d’avions de papier d’une étonnante précision.
Sénèque
Pourquoi parler de la mort au cirque ? D’abord parce que, comme l’écrivait Sénèque, » il faut apprendre à vivre tout au long de sa vie et, ce qui t’étonnera davantage, il faut, sa vie durant, apprendre à mourir » .
La notion, et surtout la crainte du grand final, est bel et bien présente au cirque, surtout dans l’esprit des acrobates qui embrassent sans cesse le danger. Mais, le jongleur, lui, que risque-t-il, sinon de perdre la balle et la face ? Le jongleur, comme l’explique l’équipe de Curieux curieux, a la chance de pouvoir métaphoriser ce risque, ce rapport à la mort. Tel est l’objectif de ce projet-ci, mis en scène par Philippe Vande Weghe.
Pour étayer leur spectacle, les artistes se sont beaucoup inspirés du travail de la psychanalyste Elisabeth Kübler-Ross (1926-2004) qui a fait de nombreuses recherches sur ce passage et pour qui il n’est pas une rupture mais un stade de croissance.
Ils ont aussi lu ou écouté plusieurs témoignages d’ » expériences de mort retour » (« near death experience »). Des témoignages, véridiques ou non, peu importe aux yeux des artistes, mais qui tous traduisent des sensations de douceur, d’amour et l’intensité du souvenir, une rencontre avec un » Etre de lumière « .
Autant de quêtes qui ont permis de donner une image plus sereine de la mort au fil d’un discours épuré et léger malgré la gravité du propos. Un vrai défi.
”
La mort au bout de la balle
–
Laurence Bertels – LA LIBRE BELGIQUE – 26/02/2013